samedi 15 décembre 2007

De l'autre côté du bureau

C'est ça le plus dur. C'est là que je souffre. Dans ce moment là.



Ma classe à moi est réelle, et je n'ai pas un aussi joli brushing que Mlle Toriumi, mais elle et moi partageons quelque chose : nous nous tenons de l'autre côté du bureau, celui que les élèves appellent "le bon côté".
Le bon côté, vraiment ?

Vous savez ce qu'il est, ce côté-là du bureau ? Une sellette, une scène autour de laquelle attend le plus exigent des publics. Mais surtout, il est une barrière infranchissable. Il est la preuve permanente du deuil que je dois faire chaque jour : je ne peux, ni ne dois partager certaines expériences que j'ai en commun avec mes élèves. Moi aussi, j'ai pratiqué ce jeu qui consiste à faire dire certains mots à mes enseignants (au passage, je précise que l'on détecte ce genre de manège en à peu près quarante-cinq secondes), moi aussi je me ronge les ongles devant ma Playstation, moi aussi, je trouve que les derniers volumes du manga Fruits Basket sont tarte.

Mais chut !

Besoin d'instaurer une autorité ? Bien sûr. Mais ce besoin n'est pas le mien, il vient de ces visages levés vers moi, qui ne se montrent jamais aussi respectueux que lorsque je demande sèchement à un retardataire de s'excuser pour son arrivée tardive. Impressionnant, le silence qui règne alors. Presque grisant. Je me dis souvent que je pourrais, dès que je pose un pied dans la salle de cours, revêtir un masque, devenir tout autre. Sévère, puisque c'est ce qu'ils souhaitent. Mais là encore, j'échouerai. Car cette frontière du bureau, il est important - non, vital - de savoir la franchir de temps à autres. Parcourir les rangées de bureau en déclamant la tirade d'Antigone à Créon, se pencher et sourire à la lecture du travail particulièrement ingénieux d'un élève, avoir des yeux partout, pour détecter la lèvre trop tremblante de quelqu'un qui appelle muettement au secours... Engager un rapport humain, personnel, parfois. Mais sans oublier que, quoiqu'il arrive je dois rester à ma place.

De l'autre côté de ce putain de bureau.

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