mardi 18 décembre 2007

Tutrice

Bien sûr, si je me mets en tête de relater les balbutiements de cette vie gratifiante, haute en couleur et enrichissante qu'est l'entrée dans le professorat, je ne peux pas faire l'impasse sur Tutrice. Commençons donc par la présenter, et avec déférence s'il vous plaît, d'autant plus qu'elle n'est pas ici pour se défendre.
Tutrice est donc le professeur qui est chargée de m'accompagner, moi, petit stagiaire débutant, dans le grand bain. Elle assiste à certains de mes cours, doit me guider, me conseiller et, en cas d'errance, me remettre sur le droit chemin (vous savez, celui que Notre Président a évoqué lors d'une de ses réunions avant d'aller consulter le trombinoscope des poupoufs regardables et d'en choisir une pour faire oublier la visite de Kadafi). Pour la peine, elle a même été bombardée agente de l'Oeil de Moscou, devant fournir deux rapports qui s'ajouteront à une liste déjà longue d'observations diverses et variées que l'on appelle mon "dossier de compétences".
Je ne sais pas si vous vous imaginez la fonction. En tout cas moi pas. Je dois déjà tenter de comprendre deux fois vingt-cinq mouflets, me mettre dans leur tête pour trouver LA phrase qui fera penser ce que je leur explique. Alors rajoutez-moi un débutant qui patauge joyeusement et qui ne sait pas trop par quel bout prendre ses classes, et je crois que je paniquerais un brin.

Le fait est que, effectivement, Tutrice panique un brin.

Déjà, elle est la seule tutrice débutante du groupe de stagiaire dans lequel je me trouve. Il semblerait que ce statut de Petit Scarabée lui fiche la frousse... Je serais bien tenté de lui balancer une banalité du genre "Alleeeez, ils ont tous été comme toi un jour !" mais je n'ose pas. Je me demande si certains tuteurs ne se sont pas matérialisés un beau jour avec déjà quinze années d'actif derrière eux.
Ensuite, il semblerait, paradoxalement, que je ne crie pas assez au secours. Il est certain que, comparé à certains camarades qui ne peuvent pas fermer la porte sans demander l'avis de leur mentor, je fais preuve d'un peu d'autonomie. Mais, de vous à moi, vous me voyez lui dire la vérité ?

"Tutrice je suis entré dans cette profession n'importe comment. J'ai passé ce concours en candidat libre, je n'ai pas ouvert un seul de ces bouquins qui enseignent le savoir pédagogique, je suis totalement ignorant dans l'une des épreuves qui étaient requises pour l'admission, mais pourtant, ça marche bien avec mes classes. Soulagée ?"

Nulle volonté de me la péter en me faisant passé pour le détenteur de la science infusée (oui oui, comme un sachet de thé), mais le fait est que la situation est bien celle-ci. Bon, je ne dis pas qu'il ne faut pas que je mette les bouchées double cette année (et que j'ouvre des bouquins de grammaire pour débutants afin de vérifier ce qu'est une foutue subordonnée conjonctive), mais ça fonctionne.
Et alors Tutrice, dans tout ça ?

Ben Tutrice, elle m'apporte tout le reste : la conviction que non, je ne suis pas tout à fait un charlot et que oui, mes élèves apprennent quelque chose lorsqu'ils se retrouvent en face de moi. Les deux trois réflexes qui permettent la mise en scène d'un cours : un geste pour réclamer le silence, le rythme d'une leçon, qu'il faut varier tout en conservant son unité... bref, la structure, l'essentiel... Le reste... Ca se lit, ça se trouve.
Donc ça fait du bien. Ca fait du bien de se dire que, après cette heure exaltante mais crevante, on pourra discuter. Communiquer.

Tutrice a tout compris à sa fonction. Compris que le stagiaire, il a tout simplement besoin de parler.

Aucun commentaire: