vendredi 4 janvier 2008

Qu'est-ce qu'une chanson ?

Les vacances se terminent et, bien sûr, une énorme flemme qui a anéanti tous mes projets de boulot bien organisé que je m'étais fixé le soir du 21 décembre... Bah, finalement, ça n'est pas si grave. Je bosse comme toujours, sporadiquement, mais efficacement, selon ce rythme immuable adopté en classe prépa : "mon dieu, il est 2 heures du matin, je dois rendre ce devoir demain à 8 heures !" Un jour, j'apprendrai à m'organiser. Quand je serai grand.
Actuellement, mon problème numéro 1 est le suivant : réussir à faire apprivoiser le Cid par ma petite troupe de Quatrièmes. Mission sur laquelle je me casse les dents depuis un bon moment. Ca n'est pas que je n'ai pas d'idées, loin de là. Je sais déjà comment dépiauter l'oeuvre, comment leur montrer que, de toutes façons, Chimène est beaucoup plus intéressantes que Rodrigue, tout en sacrifiant aux impératifs des sacro-saintes Instructions Officielles, tels que la versification ou la définition du Tragique (appétissant, n'est-ce pas ?)

Seulement voilà, même avec des dizaines de pages dactylographiées, propres et nettes, même avec le sentiment rassurant que les dix prochaines heures de cours vont se dérouler sans heurts, je reste intimement persuadé que je suis passé à côté de l'essentiel, et que j'aurais aussi bien pu aller me ballader dans la campagne sarthoise, le résultat aurait été le même : je ne toucherai pas mes élèves comme ça.
Il faudra un jour en finir avec cette image qui veut que, dans le domaine du savoir, l'esprit des gamins est, à l'instar de leur cahier, une page blanche que le prof doit remplir avec de beaux déliés, des titres soulignés en rouge et des exercices d'application. Vouloir enseigner Corneille à des Quatrième, ça a quelque chose d'une violence extrême. Parce que d'abord, avant toute chose, il faut entrer dans leur univers, réussir à comprendre ce qui se passe dans l'esprit de chacun lorsque, le sourire avenant, je décrète : "Maintenant, on va commencer à lire Le Cid." Ce Cid, il déboule comme ça, au beau milieu de cet univers mental et social qu'ils ont déjà construit. Et ils n'ont absolument aucune idée de quoi en faire. Alors, au meilleur des cas, ils observent un peu ce météorite incongru avant de retourner à leurs occupations ; au pire, ils foutent des coups de pied dans la caillasse. Mais le résultat est le même : ce qui sera appris leur restera pour toujours extérieur.

Je vais finir par passer pour un ado attardé (mais, rappelez-vous toujours que je ne suis qu'un adulescent), mais cette réflexion plutôt déprimante m'est venue hier soir, alors que je jouais à DDS (chut chut, pas de pub). L'histoire de DDS se passe dans un univers de Science-Fiction dans lequel les personnages, pour des raisons que l'on ignore, n'ont pas de notion des émotions ou des concepts les plus élémentaires. Suite à diverses péripéties, les héros sont condamnés à se transformer en monstres, possédés par une faim dévorante. Et j'en arrive à la scène qui m'a intéressé. Cette sensation de faim est brusquement interrompu lorsqu'une mystérieuse jeune femme se met à chanter. Stupéfaction de l'assistance :

"Qu'est-ce que c'était ?
- Une chanson.
- Une chanson ?"

Dialogue parfaitement inepte. Mais illumination de mon côté. Même si j'ai combattu ce penchant durant longtemps, je verse dans le travers suivant : certaines choses me paraissent pas trop évidentes, et je pars du principe que, oui, mes mômes ont au moins quelques notions de théâtre et que, surtout, ils arrivent à en saisir, sinon la beauté, du moins quelques bribes d'intérêt... Quelle naïveté.
Nouvelle clé. Elle est là. Que ce soit en maths, en techno ou en histoire-géographie, aucun enseignant, aussi exceptionnel soit-il, n'a la moindre chance de faire passer quoi que ce soit à ses élèves, tant qu'il ne parvient pas à rendre son sujet d'étude indispensable. Qu'il calme la faim, satisfasse une interrogation quelconque, ou tout simplement génère un suspens que l'on cherche à élucider, le thème doit être une nécessité, dans leur petit monde. Le mystère reste, la langue du Cid est toujours aussi incompréhensible mais, au moins, la découverte est possible.

Eh bien voilà, problème isolé. Bon ! Plus qu'à subir une nouvelle crise de confiance en soi pour trouver la solution !

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